Une fringalle d'enfer [rés. Rachel]

[Du coup, j'étais partie pour l'écrire ce soir ^^]

Une fringale d'enfer, c’était exactement le mot qui convenait. Voilà ce que se disait la jeune Rachel Jones en pénétrant dans un vulgaire restaurant chinois. Elle n’avait guère l’habitude de ces endroits que certains VIP appelaient malfamés. La jeune femme préférait mille fois se rendre dans un endroit de luxe du centre-ville, ou commander chez un traiteur pour qu’on lui livre son repas dans son appartement. Mais enfin, elle n’avait guère le choix... L’héritière, interloquée par le nombre de personnes qui déjeunait, s’interrompit après avoir passé la porte, qui se referma en tintinnabulant joyeusement. A vrai dire, il ne restait plus une table de libre, et tous ces gens mangeaient sans lui jeter un seul regard, en discutant avec animation.

La journée n’aurait pas pu être pire. Tout avait commencé par un réveil difficile à la suite d’une fête la veille. Evidemment, la femme de ménage n’avait pas osé frapper à la porte de sa chambre, et lorsqu’elle ouvrit les yeux, Rachel avait déjà dix bonnes minutes de retard sur son rendez-vous matinal. Après avoir sermonné sévèrement la domestique espagnole, toute timide, l’héritière était enfin sorti (à ce moment-là, elle n’était « qu’à » une cinquantaine de minutes de retard). Puisqu’elle fut prise dans les bouchons de New York, le shoot prévu pour neuf heures ne se déroula finalement qu’à onze heures. Le photographe, bien qu’ulcéré, n’avait faire aucune remarque, et la prise s’était déroulée dans une ambiance tendue.

Quant était arrivé midi, le mannequin qui partageait la vedette avec Rachel, une petite chinoise encore jeune et naïve avait invité la moitié de l’équipe à déjeuner avec elle, tout en ignorant l’héritière. Celle-ci, furieuse d’être mise à l’écart, s’était promise de la descendre en flamme et de lui casser sa carrière pour cela. Puis, souffrant d’une faim énorme (elle n’avait que très peu mangé le matin même), elle descendit dans Chinatown pour trouver un restaurant. Elle n’avait pas fait appel à son chauffeur, pour une fois. Les traits tirés, elle ne ressemblait de toute façon guère à son image médiatisée. Du moins c’est ce qu’il lui semblait.

Clopinant dans la rue, bousculée par des personnes inconnues qui ne lui prêtaient aucune attention, Rachel avait tenté d’entrer dans une première brasserie, mais à la vue de la saleté de l’endroit, elle préféra ne pas tenter. La seconde était bondée et enfumée par les cigarettes et cigares. Rachel renonça de nouveau, ne supportant que l’odeur de ses Marlboro Light. Sur le chemin, pour entrer dans le restaurant à l’enseigne qu’elle considérait miteuse, le New Hoa Khoan, un homme renversa soit disant accidentellement son café sur son tee-shirt commun, annonçant F*** NYC. Immédiatement, un flash se déclencha prouvant la présence de paparazzis à cet endroit. A vrai dire, Rachel trouvait la coïncidence assez peu vraisemblable mais ne chercha pas à arrêter l’homme au café qui s’enfuyait. Après sa vidéo sur le net, et ses frasques sans fin, la jeune femme ferait désormais la Une pour « les Stars sans Maquillage », ou encore « Regardez, Rachel Jones est comme VOUS, elle a des cernes, des vêtements désespérément communs, et du café sur la poitrine ! ». Au point où elle en était...

- Madame est la dame qu’attend le Monsieur ?

Le vieux chinois qui s’adressait à elle avait un air malicieux et semblait être le patron ou du moins le serveur du restaurant. Ce disant, il lui désignait un jeune homme dans un coin, seul sur une table de deux. Rachel faillit lui faire remarquer qu’il n’y avait aucun couvert en face de lui et qu’en conséquence, l’homme n’attendait personne. Et de toute façon sûrement pas elle. Mais elle répondit :

- Oui bien sûr.

Sa voix sonnait faux mais le chinois ne fit aucune remarque et l’invita à aller s’asseoir. La jeune femme obéit et lança au jeune homme, qui réfléchissait sur la carte, en s’installant :

- Qu’avez-vous choisi ?

[Prends ton temps pour me répondre, je ne pourrais le faire, moi, que dans une semaine ]

Le jeune homme leva la tête, et Rachel Jones eut la vague l’impression qu’il était célèbre, mais elle n’arrivait pas à savoir à associer sa bobine à un nom. Il paraissait plutôt calme, et n’avait pas protesté quand elle s’était installée en face de lui, comme elle n’aurait pas manqué de le faire, elle, si quelqu’un s’était imposé comme cela pendant qu’elle déjeunait. C’était exactement le type qui lui convenait aujourd’hui, pour calmer ses pauvres nerfs déjà bien éprouvés. Elle se demanda s’il la reconnaissait, même si elle en doutait. Elle ne ressemblait pas aux images qui faisaient le Une des magazines de mode, et de cinéma. Peut-être à celle qui parcourait les pages de ceux à scandales, mais avec un peu de chance, il ne lisait pas ce genre de saloperies. Par un rapide coup d’œil de connaisseuse, elle apprécia le visage fin de son interlocuteur et ses yeux marron, qui étaient tout sauf ternes. Elle leva alors son propre regard sur lui, si particulier avec son iris bleu et l’autre marron, pendant qu’une serveuse installait ses couverts.

- Enchantée, je suis Rachel. Je pense que je vais vous suivre pour les nems. Je ne suis pas vraiment inspirée pour trouver quelque chose de plus original.

Elle lui sourit pour tenter de paraître joyeuse et sympathique. La jeune femme avait pris l’habitude de dissimuler ses sentiments. Elle était capable de vous sortir avec une voix enjôleuse que votre dernier film était « splendide », « un monument dans l’histoire du cinéma américain » et que « tout le monde peut s’identifier à l’héroïne principale » toxico et alcoolique. Et derrière dire que c’était de la merde aux journalistes. Bon cette règle n’était pas valable pour les soirs où elle était soûle jusqu’à la mort, et où tout pouvait sortir à tout moment de sa bouche.

Rachel allait lui répondre que c’était la première fois qu’elle venait ici et donc, qu’en conséquence elle ignorait totalement la taille des portions. Intérieurement, elle commençait à s’inquiéter : sur qui était-elle tombée ? Etait-il un goinfre qui allait se mettre de la sauce partout ? Avec la chance qu’elle avait, un paparazzi allait la retrouver et prendre un cliché juste à ce moment-là... Mais elle n’eut pas à réfléchir longtemps, car le téléphone du jeune homme sonna et il se mit à parler avec un rythme rapide et soudain agacé. Rachel épia la conversation sans en avoir l’air. En tout cas, une chose était désormais sûre, il faisait du cinéma, que ce soit comme réalisateur, producteur ou encore acteur. Elle l’examina avec encore plus d’attention. S’il était une de ces personnes, elle le connaissait forcément. Hum...

- Des problèmes de boulot ? Vous faites des films ? s’intéressa la jeune femme, j’ai été baignée dans cet univers depuis toute petite et je connais bien certains producteurs ou acteurs. Si je peux vous aider...

Elle oublia de préciser qu’elle n’était parfois pas vraiment amie avec tous ses contacts, mais pour une fois qu’elle se montrait généreuse, on n’allait pas chipoter ! Elle était évidemment loin de demander un autographe à l’acteur en face d’elle, contrairement aux attentes de celui-ci. Elle considérait cela ridicule et les fans aux boutons qui la poursuivaient car ils adoraient Kati dans le soap LA où elle avait joué l’agaçaient terriblement. Elle devait bien avouer que ceux qui avaient vu sa vidéo hot sur le net ne lui demandaient pas de signature, mais « se contentaient » de la gratifier de propos grivois ou salaces.

Avant que le jeune homme ne répondît, la serveuse s’approcha et leur demanda ce qu’ils avaient choisi. Lorsqu’ils eurent commandé le même plat, Rachel se retourna vers lui et la tête en coupe dans ses mains, son visage s’éclaira d’un sourire pour attendre ce qu’il allait lui dire.

[Mea Culpa de ma part ! Ta réponse était prête depuis mercredi mais j'ai carrément oublié de la poster... Mille excuses XD]

Alléluia !!! Ce n'était pas une fan désespérée en quête d'un grigris sur papier à l'odeur de son parfum Axe... avec en prime l'espérance folle d'avoir un bisou ! Rien que ça rassurait beaucoup Jake, parce qu'il n'aimait pas qu'on le prenne pour un gars hyper célèbre le plus beau de tous et... Oui, bon d'accord, ça va... il aimait bien être pris pour un bogoss, ça flattait son égo. Content ? Qui n'aime pas s'entendre dire qu'il est charmant, qu'il a une gueule d'ange et qu'il éblouit des adolescente anorexiques ou gothiques en plaine crise d'hystérie ? Personne ou alors c'est un mort... pas d'autre explication. Bref ! Après cet aveu fort banal, revenons-en à notre acteur préféré. Ce dernier se contenta de regarder Rachel avec un air fichtrement soulagé ! Au moins, elle semblait mettre du coeur à attirer l'attention sur elle.

- Oh ! Euh... non, à vrai dire, j'ai ce qu'il faut niveau contacts en ce moment... je suis acteur... je m'appelle Jake Underwood. En toute modestie, je ne pense pas être la cible de beaucoup de producteurs. Un jour, cela arrivera sûrement mais pour l'heure personne ne s'arrache mon dossier... Sauf les fans... qui généralement tente de m'arracher le t-shirt... ou alors le reste.

Oui, parce qu'il lui était arrivé une fois d'avoir eu un cas comme celui là. Une jeune fille avait remarqué que l'acteur faisait un petit jogging dans les rues de New York, baladeur CD dans les oreilles et elle s'était mise à courir elle aussi. Elle l'avait suivi jusqu'à Central Park où Jake finissait par des étirements. Il était presque midi et il allait rentrer chez lui mais la jeune femme arriva par derrière et le tira sur la pelouse. Mais elle l'avait attrapé par son short en nylon et ce dernier se déchira très largement, laissant apparaître son boxer. Il avait fallu l'intervention d'un gardien pour enlever cette nympho de son champ de vision ! Les fans et Underwood, c'était loin d'être une histoire d'amour, plus de la passion et de l'irresponsabilité. Cette jeune femme lui donnait l'occasion de se faire oublier car elle ne cachait pas son importance. Était-il possible que Jake la connaisse ??? Qu'il ait entendu son nom ? Rachel... comment déjà ? Elle ne le lui avait pas précisé.

- Je vois que vous semblez très bien connaître ce domaine, vous aussi. Vous êtes actrice aussi ? C'est étrange, mais je ne vous remets pas du tout, comment aviez-vous dit que vous appeliez ?

Et puis une serveuse arriva avec deux plateaux contenant respectivement, de la sauce légèrement épicée, la salade joliment présentée et une assiette de nems... Mais voilà la taille de l'auge !!! A peine de quoi nourrir un bébé ! Même la salade n'était pas consistante. Jake regarda dépité le peu de nourriture et retint la serveuse par le bras. D'un ton poli il lui demanda :

- Hum... pourriez-vous en apporter un troisième comme celui-là ? Sans vouloir vous vexer, je suis affamé et puis, ça me semble si délicieux !

Un sourire gêné passa sur les joues de la jeune chinoise qui s'inclina légèrement pour marquer son accord. Bon, il l'avait flattée de façon un peu hypocrite vù qu'il n'avait jamais goûté la cuisine de la maison. Rien qu'à l'odeur, son estomac gronda plus fort qu'il ne l'aurait soupçonné, il regarda Rachel avec un sourire un peu désolé et dit, avant de goûter ses mets appétissants :

- Excusez-moi...

[Désolée de mon retard mais les profs ont été particulièrement acharnés dernièrement ^^]

Rachel Jones observa le jeune homme devant elle, en se triturant les méninges. Hum, si l’acteur était acteur, elle devait forcément le connaître. Comme elle l’avait dit à Jake, elle avait été baignée très tôt dans l’univers du cinéma, puisque son père était un célèbre producteur. A ses débuts, il avait tenté de réaliser des petits thrillers sans budget et confidentiels. Avec le succès de Black Eye, il s’était converti dans la production de films à grand spectacle, distribués dans le monde entier. Cela rapportait bien plus d’argent. Il avait alors rencontré la très belle Caroline Morgan, une actrice montante. La mère de Terry et Rachel. La demoiselle n’avait tourné que cet unique film sous l’égide de son mari, Wind’s summer, que la critique avait salué. Michael Jones ne supportant pas que sa femme puisse travailler, elle fut contrainte à abandonner son métier.

La jeune femme ne se souvenait de sa mère que comme une femme triste et dépressive chronique. Elle ne s’était jamais occupée de sa fille, préférant faire les tournées des soirées mondaines ou alors, a contrario, s’enfermer dans sa luxueuse villa de Beverly Hills. On ne pouvait pas dire que Rachel l’avait beaucoup aimée. C’était une étrangère, qui lui envoyait ses cadeaux d’anniversaire à des dates totalement hasardeuses. Une inconnue, dont elle avait partagé l’intimité durant neuf mois. Une inconnue avec qui elle avait dîné dix fois au maximum dans son existence. Quant à Michael, ce n’était guère mieux. Disons que lui n’était pas aussi effacé que Caroline, il distribuait les punitions et l’argent. C’était un peu mieux.

En tout cas, le nom de Jake Underwood ne lui disait rien. Peut-être une certaine Grace portait ce nom là. Une arriviste dont les échos parvenus aux oreilles de Rachel n’étaient guère élogieux.

- Bah, le succès international viendra, Jake Underwood. Dans ce métier, c’est désolant, mais il vaut mieux avoir un bon physique qu’un gros talent. Et la première condition est aisément remplie, si je peux me permettre. Quant au talent, je ne peux pas en juger, je n’ai vu aucun de vos films. Dans quoi avez-vous joué ?

Rachel Jones était optimiste pour le reste de la carrière du jeune homme. Si les fans arrachaient ses vêtements... Elle se força à ne pas éclater de rire pour ne pas gêner son interlocuteur, mais le pauvre, cela devait vraiment être déplaisant ! Elle se souvenait bien d’un gars qui lui reluquait la poitrine et qui avait les mains baladeuses lors d’une soirée arrosée, mais elle l’avait giflé, et les choses étaient restées là. Les gamines qui lui demandaient des signatures n’étaient pas du genre à faire cela. C’était l’avantage (et le seul). Parfois, lorsqu’elle avait les nerfs trop à vif, elle écrivait de faux noms sur les bouts de papier qu’on lui tendait. Elle ne souriait pas sur les photos. Sa petite revanche inefficace personnelle. De toute façon, elle adorait cela au fond, même si la célébrité en elle-même lui plaisait plus. Arriver en VIP lors de défilés de mode, sourire aux photographes lors de la montée de tapis rouge...

Rachel attendit le temps que la serveuse chinoise disparaisse, en constatant avec résignation l’appétit féroce de son voisin, pour dire son nom. Mieux valait que peu de monde l’entende si elle voulait finir son repas en paix.

- Mon nom ne vous dit peut-être rien. Rachel Jones. J’ai tourné dans un soap débile il y quelques années.

J’ai tourné une vidéo hot que j’ai diffusée sur le net. J’ai posé nue pour un photographe. Je dépense des tonnes de fric dans la mode. Je suis égérie d’une marque de produits de beauté avec une chinoise jeune et naïve. Je couche avec des tas d’hommes différents, au moins quatre chaque semaine. Compléta-t-elle intérieurement. Triste que sa vie se résume à ça au final, se dit-elle en mordant dans un nem.

[Désolée, désolée, peu d'inspiration en ce moment ]

Rachel Jones mangeait avec appétit, tout en écoutant avec attention son interlocuteur. Elle sentit peu à peu sa fringale se calmer. Comme d’habitude, elle laissa quelques restes dans son assiette. Elle était telle toutes ces starlettes obnubilées par leur poids, ou plus particulièrement par leur prise de poids. Rachel arrêtait donc de se nourrir peu avant d’être entièrement rassasiée, et ce depuis bien des années. Son frère Terry se moquait bien d’elle, en s’exclamant à chaque fois qu’il la voyait « Mon dieu, ma pauvre soeurette, que tu as grossi ces derniers temps, fais gaffe, tu pourras bientôt plus rentrer dans des vêtements de grands stylistes ». La jeune femme se contentait de lui tirer la langue, pas dupe de l’ironie de la remarque.

De son côté, Jake Underwood engloutissait son plat chinois, tout en philosophant sur la (brève) carrière de Rachel. Celle-ci n’avait guère entendu parler de sa série et de son film. Ou peut-être... Une copine qui avait squatté chez elle un soir avait voulu regarder le Regard du Juste, lui semblait-il ou quelque chose du même genre, en déclamant que l’acteur principal était trop beau, trop sexy, et que les Matthew et autres Chad pouvaient être jetés aux oubliettes. La jeune héritière qui mourait d’envie de sortir en boîte, avait refusé de s’installer avec elle, et était sortie sans le regarder. Elle avait raté une occasion de voir comment le jeune homme se débrouillait derrière une caméra.

En tout cas, le jeune homme savait bien les prouesses de la demoiselle sur vidéo. L’expression de son visage le prouvait bel et bien. Rachel sourit intérieurement. Cela avait été son plus grand piège, sa plus grande réussite. Autant, le soap était de la merde, les photos de nus étaient maintenant habituelles dans notre société, autant la vidéo sur Internet avait été un scandale, qui lui avait permis de se faire connaître dans le monde entier. Et surtout, le mignon petit couple que Matthew, à la conduite plutôt scabreuse elle aussi, formait avec la belle Juliana Bennett avait volé en éclats devant toute la presse. Quant une connaissance lui avait fait remarquer que ce n’était très gentil pour eux, Rachel avait éclaté de rire, en prétextant qu’elle avait rendu une fière chandelle à la jeune femme. « Il était conscient et consentant. J’ai évité à Juliana de se marier avec un gros salaud qui l’aurait trompée en permanence ». Personne n’avait rien osé lui dire de plus.

- Je ne sais pas si je dois prendre ça pour un compliment... Je ressemble toujours à la gamine qui jouait Kati Okwell, alors ça ! s’exclama-t-elle, d’excellente humeur.

Au fond, Rachel Jones n’était pas persuadée que la jeune homme la regardait, du moins elle en particulier. La série aussi nulle qu’elle était, la jeune femme en était persuadée, avait révélée de nombreux talents, parfois même déjà oubliés. Elle se souvenait de la fille qui jouait sa grande sœur, très douée qui avait finie par être virée par les scénaristes et les producteurs qui voulaient une tragédie dans la famille Okwell à la fin d’une des saisons, la deuxième peut-être.

- Enfin vous savez, c’est une série sympa mais très vite zappée, la preuve. Au moins avez-vous la chance d’avoir un film à vous, qui n’était pas idiot. Remarquez je ne peux que le supposer. Je suis contente d’avoir joué dedans mais tout aussi contente d’être partie. Vous avez des projets pour les mois prochains ? demanda-t-elle en faisant allusion au coup de téléphone. Si vous avez eu du succès, il n’y a pas de raison.

D’un geste, elle appela la serveuse et commanda une glace pour le dessert. Rien de très asiatique, mais autant se faire plaisir. Elle examina d’un air songeur la carte des parfums, tout en jetant des coups d’œil au jeune homme qui paraissait toujours aussi perplexe.

- Choisissez pour moi, grogna-t-elle à la petite chinoise puis quand celle-ci se fut éloignée, elle continua d’un ton léger : oui, c’était moi la fille sur la vidéo hot du web, avec Matthew Sullivan, je n’ai pas honte de l’avouer. Oui j’ai filmé la nuit que j’ai passé avec lui. Oui, je l’ai diffusé sur Internet. Et alors ? Jugez moi, dites moi que ce n’est pas bien, que c’est immoral. N’avez-vous rien fait d’immoral, vous ?

Sa tirade finie sur une note provocante, Rachel détourna le regard et sortit une cigarette de sa poche. Sans l’allumer, elle la manipula entre ces doigts, preuve de sa nervosité intérieure.

Oula ! Elle s’emportait vite ! Lui n’avait rien dit ! Bon, peut-être que son attitude laissait paraitre ses pensées… Au fond, il fallait l’admettre, Rachel était quand même plutôt connue pour cette vidéo. De là à balancer ça à Jake, c’était un peu embarrassant. Lui bien sûr avait une idée particulièrement de ce genre de films à long ou court métrage… Ayant tourné dans un film érotique gay, il savait bien que ce n’est jamais très glorieux… Bon, en même temps, la vidéo de l’héritière était beaucoup moins soft que pour lui. Interdite aux mineurs, voilà qui n’arrangeait pas vraiment l’affaire. Et puis, même si le ton était légèrement provocant Jake décida de ne pas répliquer trop sèchement. Après tout, personne n’était à l’abri d’un vague d’exaspération. Cela lui était arrivé à lui aussi. Lors d’une réception plutôt huppée, où il avait rencontré une jeune femme hypocrite au milliardième degré, une journaliste en fait… Un peu plus, elle déblatérait sur lui des horreurs dignes de la seconde guerre mondiale parce qu’il était pacifiste. Une vraie folle ! Il parla donc avec une voix calme quoiqu’un peu revêche :

- Euh… ce genre de vidéos, non, je n’en ai jamais fait mais je ne vous juge pas. Je ne vous accuse de rien. J’y suis tombé dessus par hasard, c’est tout. Et puis pour tout vous dire, ma vie privée, je ne la mets pas sur bande… donc je n’ai rien à vous dévoiler dessus. Quant à la votre, je me contenterais juste de dire qu’elle ne me regarde pas. Après tout, ce sont vos affaires et croyez-mi, je ne vais pas polémiquer longtemps là-dessus. J’oublie ce que j’ai vu et vous évitez les questions. Tout le monde sera heureux et puis voilà.

Oui, ça avait le mérite d’être direct… C’était comme un léger recadrage car si Jake était sympa, il n’aimait pas que l’on touche à sa vie privée et encore moins qu’on le provoque pour une broutille. Et pour tout dire, il n’aimait pas non plus l’attitude de Rachel envers la serveuse. Cette dernière revînt d’ailleurs, légèrement en panique et lui dit :

- Madame, il est interdit de fumer ici…

Jake terminait son plat tranquillement, sans guère se soucier du reste. Il dit alors à la serveuse :

- Tout va bien, c’est un tic… Pourriez-vous m’apporter un dessert de la maison s’il vous plait, je suis curieux de goûter… Si c’est aussi bon que le reste !

La jeune fille s’exécuta et Jake regarda Rachel avec un air dubitatif et il lui dit :

- Ne le prenez pas mal, mais je pense que vous devriez arrêter la cigarette, vous me semblez stressée et autant vous dire que ce n’est pas la meilleure méthode pour décompresser. Vous savez, je ne vous conseillerais pas cela si moi-même je ne l'avais pas vécu. Boire ou fumer, n’est pas le bon remède. Si vous voulez, on peut éviter de parler de notre carrière, et se lancer sur autre chose, histoire de ne pas nous mettre mal à l’aise l’un l’autre.

Et oui, car même si la jeune femme l’avait un peu agacé avec son petit discours provocant, il était quand même soucieux de savoir ce qui pouvait bien la mettre dans cet état. Il n’attendait pas qu’elle se confie d’un bloc mais qu’elle puisse au moins se détendre, si ça pouvait lui permettre d’aller un petit peu mieux. La serveuse revint avec deux desserts appétissants, les deux mêmes : une crêpe fourrée aux fruits exotiques présentés en fleur de lotus. Un mince coulis de chocolat en faisait le tour et sur le dessus y était déposé avec beaucoup de précision et d’attention un légèrement touche de chantilly avec du miel. Jake remercia la jeune femme et regarda avec avidité le met qui donnait plus de kilos à la voir qu’à le manger.

Les mains fines de Rachel trituraient toujours sa cigarette. Elle écoutait attentivement son interlocuteur malgré tout. Ce léger recadrage, bien qu’il l’agaçait un peu, l’amusait plus qu’autre chose. Elle appréciait malgré tout qu’il ne fasse pas de remarques quant à la nature même de la vidéo. Pas envie d’entendre des leçons de morale. Elle se souvint de la réaction de son père, qui avait failli la tuer quand il s’était aperçu de ce que sa chère fille faisait à New York. « Rachel ? avait-il tempêté au téléphone, qu’est-ce que... ». Elle se rappelait même qu’à cet instant il avait failli s’étouffer de rage. « Rentre immédiatement à Los Angeles ! ». Sa voix de stentor la terrifiait étant petite, mais ce n’était plus le cas. Son père, aussi riche et puissant soit-il n’avait plus aucun pouvoir sur elle. « Pourquoi rentrerais-je ? avait-elle répondu, le plus ironiquement possible, que se passe-t-il ? ». « Comment oses-tu ? Déshonorer ainsi la famille... ». « Déshonorer ainsi la famille ? l’avait singé la jeune femme, oui j’ai osé. Ça n’a pas mal réussi n’est-ce pas ? ». En réalité, les raisons qui l’avaient poussée à faire cette action pas très respectable restaient encore floues pour elle. Ennuyer son cher et adorable père qui ne s’était jamais occupé d’elle sauf pour la sortir de prison quand elle se faisait prendre en état d’ivresse ? Ce n’était pas le but initial, mais finalement c’était totalement réussi. Briser le petit couple mignonnet que formaient Juliana et Matthew ? Hum, sans doute. S’amuser ? Pleinement.

Elle choisit de changer de sujet intérieurement, comme le lui proposait d’ailleurs Jake. Quant à arrêter de fumer, cela faisait maintenant si longtemps... Quand avait-elle pris sa première clope ? A l’école primaire ? Quoiqu’à Beverly Hills où elle avait grandi, on ne s’échangeait pas que des cigarettes mais aussi des trucs beaucoup moins soft. Et avec son cher frère Terry ce genre de choses ne manquait pas chez les Jones. Il l’avait initié très tôt à la cigarette, et depuis évidemment, Rachel était devenue totalement accro. Mais plutôt que d’avouer une faiblesse à son interlocuteur, la jeune femme baissa les yeux sans répondre mais fourra le tabac dans la poche de son jean. Elle la fumerait tout à l’heure, en évitant de se faire encore plus remarquer par les paparazzis dehors avec cette tache horrible de café sur le tee-shirt.

Elle fut distraite par l’arrivée des desserts. Une espèce de crêpe en forme de lotus avec chantilly et chocolat. Très beau à voir indiscutablement. Très bon à manger sans aucun doute. Mais qui ferait grossir la plus fine des aiguilles. Elle se demanda comment éviter cette épreuve. Les multiples régimes excellents qu’elle avait tous testé (du « manger que des brocolis », ou « ne rien manger du tout », au « se bourrer de chocolat ») et qui n’avaient évidemment pas marchés (grande surprise), aucun ne donnait la recette pour échapper à la tentation des desserts comme celui-ci. Hélas... Son téléphone mobile qu’elle croyait avoir éteint pour éviter d’être dérangée se mit à sonner, fort heureusement, très discrètement. Rachel s’excusa auprès de Jake, les bonnes manières avant tout, avant de répondre. Une forte clameur lui brisa les tympans :

- Mademoiselle Jones, où êtes-vous à la fin ? Cela fait trente minutes que l’on vous cherche partout, c’est la folie, Ayumi ne sait plus quoi dire, tout le monde est retourné...

- Ravie de l’apprendre. Je suis en train de manger figurez-vous, et après une matinée comme celle que je viens de passer, ce n’est pas du luxe.

Le photographe de ce matin même. Ne pouvaient-ils donc pas la laisser tranquille ? Des shoots en compagnie de la chinoise en faisant mine d’être très amies, en riant etc. étaient au-dessus de ses forces. Elle ne désirait plus qu’une chose : retourner chez elle, avoir une charmante compagnie, et regarder un film débile avant de se saouler. Elle se sentait terriblement moche, toute cernée, et fripée, bizarrement banale. Pas vraiment l’état d’esprit avant de faire des photos. Elle jeta un coup d’œil à Jake en face d’elle. Après tout, peut-être était-ce une charmante compagnie ?

- Désolée (elle regarda l’heure sur sa montre), je serais là d’ici... Quelques dizaines de minutes.

Puis elle raccrocha. Sans s’affoler, elle planta sa cuillère dans la crêpe et l’attaqua joyeusement. Tant pis pour les kilos, elle ferait plus de gym demain.

- Ils sont agaçants, n’est-ce pas ? Toujours à se faire rappeler quand on le veut le moins..., sourit-elle d’une voix parfaitement maîtrisée et calme, vous avez raison, changeons de sujet, plus de ma « carrière ». Parlons un peu de vous. Êtes-vous marié ? Des enfants peut-être même ?